Liliane Pierre-Paul, une voix, une parole puissante qui s’éteint!
Rien ne présageait que le vent violent de la mort allait l’arracher parmi nous. La mort ne se lisait pas sur son visage ni dans sa parole forte et puissante. Personne n’imaginait qu’elle était condamnée à cette brève échéance, que ce maudit 31 juillet 2023 allait être sa dernière journée et qu’elle allait entrer dans une course contre la montre avec la mort.
Lilie, la nation entière est en état de dysfonctionnement émotionnel suite à l’annonce de ton décès. On image la scène et elle est horrifiante. Insupportable. Insoutenable.
La mort est toujours là, particulièrement chez nous, nous guettant à chaque coin de rue. On la voit partout. Ce qui caractérise la société haïtienne le plus au cours de ces dernières années, c’est la multitude de morts qu’elle a engendrées. Morts naturelles, accidentelles certes mais aussi énormément de décès provoqués par des esprits sauvages qui nous gouvernent depuis des lustres. Ils la provoquent par des actions politiques planifiées ou par complaisance, nous plongeant dans un deuil récurrent, permanent. Beaucoup pour s’en échapper, choisissent de fuir. D’autres vivent à côté d’elle par impuissance. Par résignation.
Combien c’est douloureux, Liliane, d’avoir à te dire au revoir à un moment où la nation attend que tu donnes ta pleine mesure pour les combats à venir. Des batailles qui doivent être livrées pour sortir notre patrie de l’impasse. Mais ce lundi ensoleillé, à l’approche de 4 heures de l’après midi, l’heure à laquelle tu donnes rendez-vous à tes fidèles auditeurs, le temps a carrément suspendu son vol. Quelle tristesse ! Une histoire d’amitié et de respect exceptionnel a terminé, hélas trop tôt. Une belle génération est en train de s’écrouler : c’est la fécondité de la malchance haïtienne.
Je ressentais la même douleur lorsque, en terre en étrangère, au Canada, j’avais appris la disparition de ton mari, le professeur Anthony Barbier, terrassé par le Covid il y a deux ans. Il fut un grand ami, un homme politique mesuré. Je vous aimais tous les deux, vous m’aimiez aussi, nous nous nous aimions.
J’ai observé la journaliste de près, pour avoir été invité à certaines de ses émissions dominicales. Ce n’est pas la mort qui a fait d’elle une héroïne, elle l’était déjà. La douleur que j’ai ressentie, ce n’est pas seulement celle de la voir disparaître, c’est aussi parce qu’elle est peut-être partie déçue, comme tant d’autres. Beaucoup en effet, arrivés au crépuscule de leur vie, n’ont pas vu la transformation d’Haïti, le pays pour lequel ils se sont sacrifiés. Beaucoup de compatriotes cultivent un doute excessif et systématique quant à l’avenir de leur pays. Pour cette génération qui a émergé après 1986, la déception est complète de voir leur pays frappé de déchéance.
Dans les semaines qui précèdent la fin de sa course, au micro de Valéry Numa, Marc L. Bazin a fait le constat amer que son existence ne valait pas grand chose. Il était donc venu au monde pour rien. Le professeur Leslie Manigat, en dépit de ses réussites personnelles dont il pouvait se vanter, avait admis non sans amertume qu’il avait perdu toutes les batailles qu’il avait livrées.
Dans ce pays en panne de ressources morales et intellectuelles, dans cette sécheresse tous azimuts, je crains que les batailles que comptent engager les générations présentes, ne soient perdues avant même qu’elles soient livrées. En effet, notre temps circonscrit dans un infini n’est pas éternel ; on ne se rend pas compte que nous avons trop à faire en un si peu de temps.
Liliane était une femme qui a du génie. Elle a maîtrisé l’essentiel de la problématique d’Haïti. La situation d’Haïti a dû créer chez elle une insatisfaction existentielle. Leslie Manigat dont les écrits sont difficiles à déchiffrer, pendant qu’il écoutait le « journal de 4 h PM de radio Quisqueya», m’a dit : « Comment Liliane fait pour traduire mon article en créole avec une telle exactitude? » Liliane qu’il appelait « son adversaire sympatique » croit qu’il y a du génie dans ce qu’elle faisait. Elle n’avait pas de diplôme mais elle ne manquait pas de génie.
Liliane Pierre-Paul, comme tant d’autres de sa génération, avait des espérances qui sont noyées dans la malchance de la politique traditionnelle haïtienne. C’est bien dommage!
Cette femme d’une valeur exceptionnelle qui vient de nous quitter si brusquement était un phénomène. Tout en le sachant, elle demeurait modeste. Elle était folle d’Haïti. Elle portait ce pays dans son cœur et s’est consacrée à lui corps et âme. Une journaliste fougueuse, intransigeante, combative. Elle ne sait pas courber la tête ni fléchir les genoux devant Baal. Elle est partie intacte, avec sa dignité originelle.
Il a raison ce poète qui affirme que l’on ne meurt bien qu’au village. Sans pourtant critiquer ceux qui choisissent la terre étrangère pour y vivre à cause de la désespérance haïtienne. La diaspora n’est pas le fait d’une bénédiction mais le résultat de la désorganisation de l’intérieur et de la chute des élites locales.
Comment se vanter d’être une réussite à l’étranger quand votre pays échoue? Comment réussir soi- même et laisser mourir sa patrie?
Quoique qu’on dise, Liliane Pierre-Paul est une impératrice, sa curiosité est sans limite, sa puissance de travail journalistique, exceptionnelle. Elle reste l’une des plus grandes personnalités qui a marqué notre histoire récente, plus attachée à la cause de la démocratie en Haïti. Elle fait partie d’une belle tranche de notre histoire présente.
Honneur et mérite à l’impératrice Liliane Pierre- Paul.
Condoléances émues aux patriotes de Radio Quisqueya et à la République.
Va ! Repose-toi en paix ! Je t’aime!
Sonet Saint- Louis