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Réunion à la Jamaïque de la Communauté Caribéenne /CARICOM sur Haïti : l’urgence d’une grande vision caribéenne décolonisée  

ONM

Monsieur Philip Brave DAVIS

Président

Conférence des Chefs de Gouvernement

CARICOM

 

Monsieur  le Président de la Conférence,

 

Nous  accusons réception de votre correspondance et tenons à vous remercier de nous avoir invité  à participer à ce sommet sur la crise haïtienne prévu du 11 au 13 juin en cours. Nous félicitons la CARICOM en tant que communauté dont Haïti est membre, d’avoir manifesté la volonté d’apporter sa contribution dans la recherche d’une solution à la crise multidimensionnelle sévère cyniquement entretenue qui risque de basculer ou d’enfoncer notre pays dans le chaos total.

Permettez-nous de formuler, en la circonstance, quelques remarques générales et certaines réserves relatives particulièrement aux conditions minimales à réunir en vue de garantir la réussite d’une telle initiative, réserves résultant d’un constat d’une certaine inadéquation entre l’objectif visé et la manière de procéder. En effet,  outre quelques réserves, cette réunion sur Haïti à la Jamaïque suscite un ensemble de considérations pertinentes  Soulignons, tour à tour :

 

1- L’ADMISSION D’HAITI COMME ETAT-MEMBRE DE LA CARICOM

La CARICOM a vu le jour le 4 juillet 1973 à travers le Traité de Chaguaramas et Haïti a intégré l’organisation caribéenne comme membre provisoire le 4 juillet 1998 et en est devenu un membre de plein droit en 2002, soit 29 ans après sa création Le Traité joint à l’annexe créant le marché commun caribéen a été ratifié par le  Parlement haïtien, le 13 mai 2002.

2- LES RELATIONS OBSERVEES ENTRE LA CARICOM ET HAITI DEPUIS SON ADMISSION COMME ETAT-MEMBRE

a- En 2004, la CARICOM a refusé de reconnaitre le gouvernement intérimaire du Premier ministre Gérard Latortue pour déficit de légitimité et inconstitutionnalité. La participation d’Haïti au sein de la Communauté Caribéenne a donc été suspendue et sa réintégration s’est produite deux ans plus tard, à la suite de l’élection de René Préval et de l’installation de son gouvernement reconnu constitutionnel. Cette réadmission s’est officialisée en juillet 2006 lors de la 28e Conférence des Chefs de Gouvernement de la CARICOM tenue à Saint-Kitts-et-Nevis.

b-Après son refus de reconnaitre, en 2004, le gouvernement Latortue pour vice de constitutionnalité, 19 ans plus tard, en 2023, la CARICOM, contre toute attente, a accepté de reconnaitre le gouvernement inconstitutionnel, illégitime d’Ariel Henry et collabore étroitement avec ce prétendu Premier ministre placé par un simple tweet du Core Group, un syndicat de diplomates indécents, violateurs du droit international et  saboteurs attitrés d’Haïti.

De plus, il s’agit d’un gouvernement corrompu, insensible aux problèmes de la population en général et des élèves, étudiants, enseignants en particulier ; ces derniers sont en grève depuis tantôt deux mois pour réclamer des conditions décentes d’enseignement et d’apprentissage. Leurs revendications sont de fait ignorées par le gouvernement, notamment par le ministre de l’Education de facto, Nesmy Manigat prétextant l’absence de moyens. Pourtant, des informations recueillies de source sure indiquent que ce gouvernement est de connivence avec les gangs et de surcroit les finance. Ces mêmes gangs tuent, kidnappent, assassinent au quotidien parents, élèves, étudiants et autres membres de la population en toute impunité.

Il est à souligner, en outre, qu’au Titre 17 de la Charte de la Société Civile sur la bonne gouvernance adoptée en 1997 par la CARICOM, il est stipulé à l’article premier : «  Les Etats adoptent et mettent en œuvre les mesures appropriées pour assurer une bonne gouvernance juste, ouverte et responsable. » L’actuel  gouvernement reconnu tout à fait corrompu, s’inscrit-il dans une telle logique? Comment expliquer qu’il soit reconnu par la CARICOM et qu’il bénéficie d’une aussi grande collaboration ?

3- LES RELATIONS ENTRE LA CARICOM ET HAITI DEPUIS SA MISE SOUS TUTELLE EN 2004 PAR LE CONSEIL DE SECURITE DES NATIONS UNIES, SOIT DEPUIS 19 ANS :

a- La Cour Caribéenne de Justice et l’inconstitutionnalité des missions onusiennes en Haïti

Il convient de noter que c’est en référence à la Résolution 1542 que  le Conseil de Sécurité de l’ONU  décida d’établir des troupes étrangères en Haïti, regroupées dans une mission dite Mission des Nations Unies pour la Stabilisation en Haïti (MINUSTAH). Pourtant, au regard des prescrits de la Convention de Vienne sur le Droit des Traités (Art.14) la présence de la MINUSTAH était d’emblée illégale ; frappée d’une part du vice de non consentement par le pouvoir législatif haïtien (Art.98-3 et 276 Const), et d’autre part, de la non-qualification de l’une des parties signataires (Art.139). Quelle a été la position de la Cour Caribéenne de Justice sur l’inconstitutionnalité des missions onusiennes dans un Etat-membre de la CARICOM, Haïti ?

Par ailleurs, la Cour a-t-elle jugé opportun de saisir le dossier du crime de choléra engendrant plus de trente mille morts et huit cent mille personnes infectées au sein d’un Etat-membre de la Communauté Caribéenne ?

b-Réaction de la Conférence des Chefs de Gouvernement de la CARICOM au regard des traitements dégradants réservés à Haïti par des chefs d’Etat états-uniens

En  janvier 2018,  un chef d’Etat états-unien qualifie un Etat-membre de la CARICOM, Haïti, de « shithole ». Quelle a été l’attitude d’un organe de décision de la CARICOM, comme la Conférence des Chefs de Gouvernement  par rapport à un tel affront ?

En septembre 2021, des migrants ressortissants d’Haïti, donc d’un Etat-membre de la CARICOM, sont repoussés et fouettés  sauvagement à Rio Grande par des gardes-frontières américains à cheval. Cela a-t-il entrainé une quelconque réaction de la part de la CARICOM ? Y a-t-il eu une note officielle dénonçant  ce traitement avilissant et défendant ainsi l’honneur d’Haïti ?

c-Participation d’un Etat-membre de la CARICOM à l’administration des troupes onusiennes d’occupation

Le 15 juillet 2015, une ressortissante d’un Etat-membre de la CARICOM, Trinidad & Tobago, ancienne Directrice de la CARICOM et des affaires des Caraïbes en 2005, a accepté d’assumer un haut poste de direction des troupes d’occupation, en tant que Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations Unies en Haïti. Est-il excessif d’imaginer qu’elle écrira un jour ses mémoires en toute sincérité et conscience en tant que fille de la Caraïbe, elle qui eut à déclarer à la 8068e Séance du Conseil de Sécurité des Nations Unies tenue le 12 octobre 2017 : «  Lorsque la MINUSTAH avait été établie, Haïti connaissait une profonde instabilité, une violence politique endémique et un climat d’anarchie et d’impunité. Aujourd’hui, les gangs armés ne tiennent plus la population en otage, grâce à une police nationale forte de 14000 éléments et toutes les branches du pouvoir sont en place, les pouvoirs exécutif et législatif étant de nouveau fonctionnels ».

Moins de dix ans plus tard, en 2023, comment se présente le panorama sécuritaire en Haïti ? Ou est passée cette police forte ? N’y a-t-il pas lieu d’organiser une session spéciale d’évaluation au sein de la CARICOM en ce qui a trait à  l’absence de résultats  en terme de stabilisation des missions militaires onusiennes à répétition et donc de leur inutilité dans ce pays caribéen ?

4- LE DOSSIER DE LA CRISE HAITIENNE : INTERVENTIONS DE LA CARICOM  AU PREMIER SEMESTRE 2023

Du 15 au 17 février 2023  s’est tenue à Nassau, Bahamas, la 44e Réunion de la Conférence des Chefs de gouvernement de la Communauté des Caraïbes (CARICOM).  Cette Conférence a été marquée  par la présence du Premier ministre canadien, Justin Trudeau, à titre d’invité spécial et celle d’Ariel Henry, Premier ministre de facto très décrié imposé au peuple haïtien par le Core Group.

Auparavant, il avait été  annoncé dans un communiqué officiel daté du 11 février 2023 que « Cette rencontre offrira aux dirigeants l’occasion d’explorer des moyens qui permettraient à la région de continuer d’aider le peuple haïtien sur les plans politique, sécuritaire et humanitaire… En tant que partenaire indéfectible, le Canada est intervenu en réponse à cette situation flagrante. Il a notamment fourni de l’aide à la police nationale haïtienne et déployé un avion de patrouille à long rayon d’action pour perturber les activités des gangs.»Au terme de cette 44e réunion ordinaire des Chefs de gouvernement de la CARICOM, il a été décidé de l’envoi en mission d’une délégation en Haïti.

Le 27 février 2023,  ladite délégation s’est retrouvée dans la capitale haïtienne  sous la direction du Premier ministre de la Jamaïque, Andrew Holness. Elle était composée de représentants des Bahamas, de Trinité-et-Tobago, de la ministre jamaïcaine des affaires étrangères et du commerce extérieur, de l’ambassadeur jamaïcain et des membres du secrétariat de l’organisation caribéenne.

Cette mission spéciale de la CARICOM avait pour objectif d’évaluer la situation en Haïti et a, en ce sens, réalisé des réunions préliminaires avec un certain nombre d’acteurs jugés importants. Là encore, des discussions ont porté sur les moyens qui permettraient à la région des Caraïbes de continuer d’aider le peuple haïtien « sur les plans politique, sécuritaire et humanitaire.»

Les questions d’importance :

1) Quatre  mois après ces différentes rencontres et  missions d’exploration précédées de plusieurs autres déjà,  qu’est ce qui a été réalisé de concret dans le sens d’une solution à la terrible crise qui secoue notre pays ?

2) Quels sont les moyens déjà explorés, comme promis par la CARICOM ou le Canada qui permettraient d’aider réellement le peuple haïtien « sur les plans politique, sécuritaire, humanitaire » et autres ?  Le Canada, membre du CORE Group contribuant activement à la déstabilisation d’Haïti mais qui s’est malgré tout déclaré   ‘’partenaire indéfectible’’ d’Haïti, prétend avoir intervenu en réponse à cette situation flagrante et aurait notamment « fourni de l’aide à la police nationale haïtienne et déployé un avion de patrouille à long rayon d’action pour perturber les activités des gangs.»  Quel a été le résultat obtenu à partir du déploiement de cet avion de patrouille en ce qui concerne les activités criminelles des gangs ? Le Canada a-t-il ainsi permis de freiner l’action des gangs ou plutôt en a-t-il profité pour faire du théâtre pendant que les membres de la population continuent d’être massivement et quotidiennement victimes ? A-t-il, par ce théâtre, contribué à rassurer les gangs ou à les combattre réellement ?

Partant de ce constat, le peuple Haïtien est-il en droit d’espérer quelque chose de positif ou de différent de ce sommet annoncé à la Jamaïque ? Ne sera-t-il pas un sommet de plus ajouté à la kyrielle de sommets déjà organisés rien que pour jeter de la poudre aux yeux du peuple ou faire semblant de vouloir aider à résoudre la crise qui est en train de l’engloutir ?

5- REUNION DE LA CARICOM DU 11 AU 13 JUIN SUR HAITI : QUEL AGENDA ?

Est- ce que l’agenda de ce sommet va dans le sens de l’appui aux solutions dirigées par les Haïtiens ?  A quelques jours de la tenue du sommet,  cet agenda de discussion n’est pas encore finalisé et rendu public ? A quoi peut-on s’attendre ?

Honorables organisateurs/trices

A notre avis, si vous voulez témoigner du respect pour le peuple Haïtien en général et pour les acteurs concernés en particulier ;  si vous voulez organiser un sommet sérieux sur la crise haïtienne actuelle et apporter une contribution certaine allant dans le sens d’une solution haïtienne à la crise haïtienne, vous devriez réviser votre stratégie, réviser la méthodologie inefficace et inutile habituelle utilisée lors de sommets précédents.

 

Nous persistons à espérer que la CARICOM ne se fera pas complice des anciennes puissances coloniales, esclavagistes et racistes  aujourd’hui puissances impérialistes qui entretiennent cyniquement la crise actuelle, oppressent le peuple haïtien ; et surtout que la CARICOM ne se fera pas  leur caisse de résonance. Sinon, tout sommet inter-caribéen sur Haïti risque de se convertir en une sorte de session extraordinaire du Core Group, version CARICOM.

 

Nous souhaitons, plutôt, l’organisation par la  Communauté des Caraïbes (CARICOM) d’un sommet qui sera l’occasion de poser les vrais problèmes qui font perdurer cette crise et de trouver ensemble les solutions appropriées attendues avec la participation effective des acteurs Haïtiens.  Nous proposons, en ce sens, que soient figurés à l’agenda du sommet les points suivants :

 

1) Haïti : Recouvrement de la souveraineté nationale pour mettre fin à l’ingérence des puissances impérialistes ;

2) Nécessité de la fin du soutien indécent de l’international en particulier des USA, du Canada  et de la France au gouvernement criminel PHTK d’Ariel Henry et la mise en place d’un gouvernement de transition crédible;

3) Urgence de l’accompagnement solidaire de la CARICOM vis-à-vis d’Haïti pour l’application effective de la Résolution 2653 (2022) adoptée par le Conseil de Sécurité le 21 octobre 2022 ;

4) Mise sur pied d’une Commission d’enquête indépendante pour évaluer ces dix-huit années d’accompagnement de l’ONU pour mettre à jour ses responsabilités et son lien direct avec les  causes qui ont conduit à la situation chaotique actuelle ;

5) Appui de la Cour Caribéenne de Justice pour l’obtention de dédommagements et réparations en faveur d’Haïti et en particulier des familles des  trente mille morts et des huit cent mille (800 000.00) infectés-es du choléra introduit par les soldats de la MINUSTAH ;

6) Prise de position de la CARICOM pour un support concret à Haïti en vue de la non intervention militaire internationale ;

7)  Dans la perspective  d’élections crédibles,  recommandations de la CARICOM pour la suspension par les Etats-Unis de l’approvisionnement en armes et en munitions des gangs pareillement à la récupération rapide des armes déjà introduites ;

8) Mise en garde contre le plan de développement de dix (10) ans pour Haïti imposé par le Département d’Etat américain ;

9) Solidarité avec  Haïti pour la Récupération de l’ile haïtienne de la Navase et la réclamation de dédommagements ;

10) Nécessité d’un soutien ferme de la CARICOM en vue de la restitution et  de la réparation pour  les torts et les graves injustices subies par Haïti au cours de l’histoire, notamment la dette historique de l’esclavage, le vol de ses ressources, la scandaleuse rançon de l’indépendance, la séquestration de ses réserves d’or par les Etats-Unis d’Amérique ;

11) Engagement de la CARICOM dans le processus de Décolonisation totale de l’espace caribéen ;

12) Vote d’une résolution de la CARICOM demandant  l’octroi d’une autre décennie des Afro-descendants 2024-2033 au nom d’Haïti. A noter qu’Haïti, la première à briser les chaines de l’esclavage et pour cela considérée par le poète Victor Hugo et bien d’autres comme étant une lumière[1], a été reléguée au dernier rang  dans le cadre de la célébration de cette Décennie Internationale des personnes d’ascendance africaine alors que l’ONU aurait dû lui accorder une place d’honneur.

 

Monsieur  le Président de la Conférence des Chefs de Gouvernement,

 

Tout sommet sur la crise haïtienne qui ne tient pas compte de ces préoccupations majeures du peuple haïtien va passer à coté. C’est pourquoi, si vous voulez vous tenir éloigné d’un échec prévisible  et si en tant que communauté caribéenne de pays frères, la CARICOM veut effectivement offrir une contribution certaine à la résolution de cette crise multidimensionnelle et complexe, il faudra construire, en collaboration avec les acteurs haïtiens, l’agenda de discussion. Il s’agit d’un agenda intégrant les préoccupations fondamentales du peuple haïtien. Il importe aussi d’impliquer l’ensemble des acteurs haïtiens concernés, de s’entendre à l’avance sur le format de la rencontre, d’établir de concert la liste des éventuels acteurs internationaux à inviter et décaler pour au moins deux semaines ce sommet prévu du 11 au 13 juin en cours, ce pour assurer sa pleine réussite.

Condamnés à se soutenir mutuellement dans la lutte pour une Caraïbe unie et totalement décolonisée, nous vous prions de recevoir, Monsieur le Président de la Conférence, nos salutations caribéennes et fraternelles.

 

 

Josué MERILIEN

Coordonnateur général de l’Union Nationale des Normaliens/nes d’Haïti (UNNOH) et

Membre du Directoir

e de KONBIT des Organisations Syndicales, Politiques et Populaires