Haïti/Diplomatie: le pasteur Ernst Pierre Vincent appelle à des réformes diplomatiques pour protéger les intérêts d’Haïti et les droits des haïtiens en République Dominicaine
Dans une correspondance adressée à la
Ministre des Affaires Etrangères et des Cultes (MAEC), Madame Dominique DUPUY, l’Expert en résolution de conflits internationaux et spécialiste dans les relations haïtiano-dominicaines, le pasteur Ernst Pierre Vincent appelle à des réformes diplomatiques, pour protéger les intérêts d’Haïti et les droits des haïtiens en République Dominicaine.
Le pasteur Vincent s’est adressé en ces termes, à la ministre des affaires étrangères:
Madame la Ministre,
Je vous adresse mes plus sincères félicitations pour votre nomination à la tête du prestigieux Ministère des Affaires étrangères et des Cultes. Votre engagement à combattre la corruption et à promouvoir la méritocratie au sein de ce ministère donne un nouvel élan à la diplomatie haïtienne, la rendant plus efficace pour défendre les intérêts de l’État haïtien sur la scène internationale. Je suis convaincu que les réformes que vous entreprenez permettront également aux représentations diplomatiques et consulaires d’Haïti, de mieux protéger les droits des citoyens haïtiens et leur offrir des services de qualité.
Par cette correspondance, je souhaite attirer votre attention sur la nécessité urgente de revoir en profondeur la politique diplomatique d’Haïti vis-à-vis de la République Dominicaine. À mon avis, les stratégies actuelles, en place depuis des décennies, sont inadéquates pour faire face aux relations tendues et historiques entre les deux nations. Les événements récents, particulièrement la gestion faite par l’ancien gouvernement des conflits nés de la décision de construire le canal de Ouanaminthe et les violations des droits de nos compatriotes dans le pays voisin, montrent clairement l’urgence d’une telle révision.
D’après un rapport récent du Département d’État des États-Unis, en 2023, des résidents légaux en République Dominicaine ont été torturés ou abattus par des membres de la police nationale dominicaine. Un cas emblématique est celui de Dieumil Charles, qui a été torturé puis exécuté par des policiers dominicains. À Cap Cana, des policiers et agents de la migration ont ouvert le feu lors d’une opération de contrôle de l’immigration, tuant Jean Modes Fontas et blessant d’autres personnes, dont certaines ont été expulsées malgré leurs blessures.
Plus récemment, en mai 2024, des membres des forces armées et des agents de la Direction Générale de la Migration (DGM) dominicaine ont violemment frappé des travailleurs d’une entreprise sucrière à Barahona et tué l’un d’eux en réponse à une manifestation dénonçant les mauvais traitements quotidiens et réclamant leurs salaires impayés. Ces agents policiers ou militaires soumettent quotidiennement des individus, principalement des personnes d’origine haïtienne, à des traitements humiliants et à des violences physiques. Ils ont même violé sexuellement des femmes haïtiennes et des Dominicaines d’origine haïtienne. Malgré les dénonciations faites par des organisations de la société civile locales et internationales en ce qui a trait aux « traitements sévères et souvent dégradants infligés par la DGM et d’autres forces de sécurité aux migrants haïtiens sans papiers et aux Dominicains d’origine haïtienne [dénationalisés], ainsi que dans les centres de détention de la DGM à Haina et Santiago », les diplomates haïtiens en République Dominicaine et le gouvernement haïtien à Port-au-Prince sont restés silencieux.
L’inaction et le silence des autorités haïtiennes, tant en Haïti qu’en République Dominicaine, face aux violations répétées des droits des immigrants haïtiens et des Dominicains d’origine haïtienne, illustrent l’inefficacité de notre politique diplomatique actuelle. Cela souligne la nécessité d’une approche plus proactive et protectrice pour défendre les droits de nos ressortissants en République Dominicaine. Il est impératif d’établir des mécanismes diplomatiques robustes pour répondre à ces violations des droits humains et garantir une meilleure protection de nos citoyens. Des changements de personnel au sein de la mission diplomatique en République Dominicaine sont nécessaires, et je vous félicite d’avoir déjà pris des mesures en ce sens. Cependant, sans une politique clairement définie et une stratégie bien élaborée et exécutée, les intérêts d’Haïti et les droits de nos ressortissants ne seront pas correctement protégés.
Au-delà de ces premières mesures, je pense que, pour mettre fin aux violations des droits des migrants haïtiens en République Dominicaine et des Dominicains d’origine haïtienne dénationalisés en 2013, le gouvernement haïtien devrait adopter diverses mesures de politique publique et diplomatique. Il s’agit notamment de renforcer les capacités consulaires pour mieux protéger les ressortissants haïtiens, d’engager un dialogue diplomatique avec la République dominicaine pour traiter les questions de discrimination et de mauvais traitements, et de mobiliser la communauté internationale pour faire pression sur la République dominicaine.
De plus, des campagnes de sensibilisation et des accords bilatéraux de protection des migrants sont nécessaires. Les conventions internationales, telles que celles sur les droits des travailleurs migrants, les réfugiés, et l’élimination de la discrimination raciale, ainsi que la Déclaration universelle des droits de l’homme, fournissent une base juridique pour ces actions. En s’appuyant sur ces conventions et accords, Haïti peut renforcer ses efforts pour protéger les droits de ses ressortissants et des Dominicains d’origine haïtienne.
Madame la Ministre, je ne peux ignorer une vérité irréfutable : les droits des immigrants haïtiens sont gravement violés par leur propre gouvernement. En République dominicaine, la représentation diplomatique haïtienne échoue à fournir les documents nécessaires pour la libre circulation et le renouvellement des visas et des résidences. Malgré des décennies de résidence et d’énormes sacrifices financiers, de nombreux Haïtiens ne parviennent pas à obtenir des actes de naissance, des extraits d’archives ou des passeports, même après avoir payé des frais, y compris des frais d’urgence. Des ONG locales et internationales ont dépensé des sommes considérables pour aider ces immigrants, mais les autorités haïtiennes n’ont toujours pas délivré les documents après des mois, voire des années. De plus, une entreprise sucrière dominicaine, soucieuse de sa responsabilité sociale, a engagé un avocat et payé à l’ambassade les frais de documents pour régulariser le statut de ses employés haïtiens, mais l’ambassade haïtienne a encaissé l’argent sans fournir les documents nécessaires. Dans un pays où les autorités appliquent une politique d’immigration discriminatoire contre les Haïtiens et refusent de délivrer des documents à des Dominicains d’origine haïtienne ayant droit à la nationalité dominicaine, cette incapacité fait honte au peuple haïtien. Elle offre malheureusement des prétextes aux autorités dominicaines pour continuer à discriminer les Haïtiens, mettant en danger leur vie, leurs emplois et les investissements qu’ils ont réalisés. J’estime qu’un audit sur la gestion de notre représentation diplomatique en République Dominicaine pour les dix (10) dernières années, s’avère indispensable.
Je vous remercie de l’attention que vous porterez à cette question urgente et j’espère que des mesures seront prises pour réformer et renforcer la politique diplomatique d’Haïti envers la République Dominicaine, mieux défendre les droits des Haïtiens vivant dans ce pays et leur fournir les services de qualité auxquels ils ont droit.
Veuillez agréer, Madame la Ministre, l’expression de mes salutations les plus distinguées.
Une copie a été acheminée au président du Conseil Présidentiel de Transition, Edgard LEBLANC FILS et au premier ministre, Garry CONILLE.